Mes « pas les meilleures » lectures de 2014

Comme j’ai lu beaucoup de livres en 2014, il s’ensuit que les lois de la moyenne doivent s’appliquer. Nécessairement, la forme de la courbe demeure la même et le nombre de « moins bons » livres sera donc plus élevé. Voici les cinq lectures les plus éloignées de mon top 5

SaveTheCatSave the Cat! par Blake Snyder
L’un des guides d’écriture les plus cités dans les cercles de créateurs littéraires, l’évangile selon Blake Snyder s’est avéré un décevant recueil de mauvais conseils… sauf si vous le consultiez dans le but de concevoir l’histoire la plus convenue et mécanique qui soit afin de la vendre à un gros studio d’Hollywood. Alors le livre est parfait.

Pourquoi je n’ai pas aimé:

  • L’auteur présente l’attitude arrogante d’un gourou infaillible. Le ton est familier et suffisant, comme un vendeur de voitures d’occasion qui vous interpelle d’un « ma p’tite madame ».
  • Le livre prêche une approche effrontément mercantiliste de la création. On ne cherche pas à créer quelque chose de bon mais quelque chose qui se vend. C’est la manière fast food de voir l’écriture: les grosses ventes sont perçues comme un facteur qui prouve la qualité d’une oeuvre, sans égard au fait évident qu’il est facilement possible d’engranger de grosses recettes en dépit d’un manque de qualité.
  • La portée applicable des concepts de Snyder est extrêmement limitée: seuls les scénaristes de films d’action ou de comédies grand public peuvent en tirer parti. Cela n’empêche pas Snyder de prôner, avec une mauvaise foi déconcertante, l’universalité de son approche, écartant les succès critiques d’oeuvres situées hors de ce créneau comme des aberrations.

rubiconRubicon par Mark Long
Ce roman graphique disposait d’une énorme potentiel. Il s’agit d’une adaptation du film Les sept samouraïs de Kurosawa, transposé en Afghanistan, où s’opposent Talibans et militaires américains. Ce concept aurait pu mener à un examen captivant sur la nature belliqueuse de l’homme et le joug sous lequel sont forcés les habitants des zones de conflit. Mais non.

Pourquoi je n’ai pas aimé:

  • Les personnages sont vides au point d’en être interchangeables. L’auteur tente de nous faire ressentir quelque chose quand l’un d’eux meurt, mais, pour nous, c’est seulement « Barbu numéro trois » qui mord la poussière.
  • L’intrigue est bête et simple. Il n’y a aucune tension dramatique puisqu’il n’y a aucun retournement de situation qui ne soit prévisible plusieurs  pages à l’avance.
  • L’auteur s’est contenté de transposer l’intrigue originale dans un nouveau contexte sans s’interroger sur les thèmes et le symbolisme du film de Kurosawa. On reconnaît la séquence des événements mais rien de l’esprit, ce qui fait de Rubicon un simple exercice de style plutôt qu’une oeuvre de fiction à part entière.

CulSecCul sec! par Jean-Philippe Bergeron
J’étais allé au Salon du livre de Québec en 2014 dans le but avoué de découvrir ce qui se faisait en bande dessinée au Québec. Ayant valdingué longtemps du côté américain, mes derniers souvenirs de BD made in Québec remontaient à Red Ketchup et Michel Risque. Cul sec! paraissait à la fois un investissement judicieux de mon budget pour le Salon et une belle façon d’encourager la création locale. Apparemment, je n’avais raison qu’à moitié.

Pourquoi je n’ai pas aimé:

  • Il n’y a pas d’intrigue dans cette bande dessinée. Il y a une séquence d’événements qui se déroulent dans une chronologie douteuse, certes, mais aucune volonté d’organiser le tout dans une structure narrative signifiante. Bref, il se passe des choses, mais on n’en perçoit ni l’importance ni l’intérêt.
  • Les personnages sont dénués de personnalités cohérentes. D’une scène à l’autre, on a peine à croire que ce sont les même personnes tant leur comportement semble aléatoire (et le dessin incertain n’aide pas).
  • Le livre se termine et on reste avec un sentiment d’inachèvement. C’est normal pour un comic book américain mensuel à trois dollars de se terminer abruptement, pas pour une bande dessinée à couverture rigide de vingt dollars qui pourtant se lit en dix minutes.

MoongramMurdersThe Monogram Murders par Sophie Hannah
Soyons clair: je suis un fanatique indécrottable d’Hercule Poirot. J’ai des souvenirs de mon adolescence dans lesquels je me vois passer des nuits blanches à dévorer un Agatha Christie de la première à la dernière page. En fait, le seul défaut que je pouvais trouver au personnage de Poirot, c’est de n’avoir pas survécu à son auteur. Aujourd’hui, après avoir mûri et aussi après avoir constaté l’utilisation que Sophie Hannah a fait du personnage, je comprends qu’il valait mieux que Dame Agatha emporte sa créature avec elle dans l’au-delà.

Pourquoi je n’ai pas aimé:

  • Il y a un mélange brouillon des genres de l’énigme policière et du thriller qui fait de ce livre un polar pastiche plutôt qu’un véritable Hercule Poirot. Imaginez Columbo, l’arme au poing, en train de ramper dans les conduites d’aération du Nakatomi Plaza et vous aurez une bonne idée de la dissonance des genres.
  • L’intrigue policière est menée de façon maladroite. Elle consiste en une longue série de révélations gratuites et d’indices inconséquents qui se solde avec une explication alambiquée qu’il faudrait relire pour comprendre… ce que vous n’aurez aucune envie de faire.
  • L’auteur ne comprend manifestement pas comment fonctionnent les points de vue narratifs, se trompant sans cesse sur ce qu’elle est en droit de communiquer au lecteur.

PositionTireurCoucheLa position du tireur couché par Jean-Patrick Manchette
J’ai terminé de lire ce roman au début du mois d’août et je n’en ai conservé aucun souvenir. C’est comme si vous me demandiez de décrire ma journée au bureau le troisième mardi de septembre 2007. Ce livre est l’équivalent littéraire d’une crème de tomate: tout l’ordinaire d’une soupe en canne sans le réconfort d’une bon bouillon de poulet chaud.

Pourquoi je n’ai pas aimé:

  • La prose est sèche, froide et plate au point où je pourrais la décrire comme clinicienne. L’Agence des douanes et du revenu du Canada m’envoie de la correspondance écrite avec plus de passion que ce roman.
  • Le protagoniste est une coquille vide sans ambition, sans émotion et sans personnalité. On ne s’intéresse absolument pas à ce qui lui arrive parce qu’il ne présente aucun relief auquel s’attacher.
  • L’intrigue est inexistante. Aucun but, aucun fil conducteur, aucun thème sous-jacent, juste une suite d’évènements présentés froidement, comme un témoignage rendu par une caméra vidéo noir et blanc. Cul sec! souffre peut-être de la même vacuité narrative, mais ses créateurs avaient au moins le coeur de s’essayer. Ici, rien. On ne sent même pas la présence d’un auteur tenant la plume.

Mentions « déshonorables »

  • TAG par Ghislain Taschereau
  • Dans le quartier des agités par Jacques Côté
  • Except the Dying par Maureen Jennings

J’espère que 2015 me réserve tout un gros paquet de bonnes lectures pour me faire oublier celles dont je viens de parler. Je dois bien sûr m’attendre à ce que cette année possède aussi son lot de déceptions, mais ça ne m’empêchera pas pour autant de tenter le coup et de prendre des chances comme je l’ai fait en 2014.

Et si jamais je suis encore déçu, je pourrai toujours écrire un billet comme celui-ci en janvier prochain.

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Critique: The Monogram Murders

Le nouveau Poirot fait patate

MoongramMurdersThe Monogram Murders
par Sophie Hannah
Publié par William Morrow en 2014
352 pages
ISBN: 9780062297211

Dame Agatha Christie s’est éteinte en 1976 en nous laissant une oeuvre d’une finesse remarquable. Sa création sans doute la plus célèbre, Hercule Poirot, a mené l’enquête dans près d’une centaine de récits de diverses formes, la dernière fois un an avant la mort de l’auteure. Presque quatre décennies se sont écoulées depuis et jamais la succession Christie n’a permis qu’un nouveau scribe mette l’illustre Belge en scène, et ce, malgré les nombreuses demandes qu’ils ont reçues.

Or, voilà que l’auteure Sophie Hannah a fini par décrocher ce privilège tant convoité. Ça a donné The Monogram Murders, paru en septembre de cette année. LA question sur toutes les lèvres: est-ce que c’est un bon Poirot? Grâce au sous-titre que j’ai donné à cette critique, vous vous doutez déjà de la réponse.

Et c’est pas un roman policier extraordinaire non plus. Pour commencer, la narration pose un problème.

The Monogram Murders utilise un narrateur interne dans la personne d’Edward Catchpool, enquêteur à Scotland Yard et ami de Poirot. C’est à travers ses yeux que nous parvient le récit du roman. Or, il arrive souvent, tout au long du livre, que l’auteure nous présente des scènes en l’absence de Catchpool. Et ce ne sont pas de courts apartés reconstitués à partir d’un rapport fait après-coup. Non, ce sont de longs interrogatoires menés par Poirot, complets jusque dans les moindres détails des pensées du Belge et du verbatim de l’échange.

Certes, dès le chapitre 2, Sophie Hannah fait dire à Catchpool qu’il écrit son récit avec l’aide de Poirot, excusant ainsi en partie les libertés qu’elle prend avec le point de vue narratif. Cependant, j’ai beaucoup de mal à croire que Poirot ait fait un rapport si complet à Catchpool que ce dernier a été en mesure de reproduire fidèlement tous les détails des entretiens qu’il a ratés.

(Je passe outre le cliché éculé du narrateur qui couche son récit sur papier afin de s’en exorciser.)

Le cliché du narrateur qui couche son récit sur papier afin de s’en exorciser

Et c’est là le coeur du problème: Sophie Hannah n’est jamais fixée sur l’emploi d’un narrateur omniscient ou d’un narrateur interne. Elle voudrait utiliser le ressort du narrateur interne comme Agatha Christie l’a fait régulièrement (avec le personnage de Hastings, par exemple) mais, en même temps, elle refuse de compromettre sur la quantité des détails fournis au lecteur.

Agatha Christie avait compris que l’incertitude du narrateur offrait un outil de plus pour enrichir le mystère central à l’intrigue. C’est d’ailleurs là l’essence même de la surprise finale dans The Murder of Roger Ackroyd. Le lecteur reçoit un compte rendu de l’affaire circonscrit par les perceptions et les réflexions limitées du narrateur. De cette façon, ce dernier devient un substitut du lecteur dans le déroulement de l’enquête à laquelle il est invité à participer.

Au contraire, Hannah fait de Catchpool un intime de tous les progrès de Poirot, au prix de la vraisemblance de la narration et de la complexité de l’intrigue. C’est comme si le rôle de protagoniste glissait de Poirot à Catchpool, tant Hannah s’obstine à en faire un personnage indispensable au récit.

Ce qui me mène au second problème de The Monogram Murders: le glissement de genre.

Le genre de l’énigme policière dans lequel s’inscrit la majeure partie de l’oeuvre d’Agatha Christie, voire la totalité du corpus Poirot, est caractérisé par quelques principes élémentaires:

  • Un meurtre à élucider,
  • Un détective perspicace, et
  • Un dévoilement progressif d’indices, menant à
  • Une résolution surprenante et ingénieuse.

Tous ces éléments font appel  aux facultés cérébrales du lecteur plus qu’à une réponse émotive de sa part. Ainsi, l’énigme policière privilégie un style de narration descriptif et neutre, provenant d’un narrateur interne impliqué dans l’enquête mais effacé sur le plan fonctionnel de l’intrigue. En d’autres mots, il est justifié qu’il soit au courant des détails de l’investigation mais son point de vue n’est pas troublé par une implication émotionnelle dans l’action.

C’est tout autre chose quand on a affaire au genre du thriller qui met plutôt en scène des personnages dont les enjeux émotifs dans le crime commis constitue le coeur même de l’intrigue. Par exemple, si le héros d’une énigme policière doit trouver le coupable d’un meurtre sordide, le héros de thriller, quant à lui, doit capturer le meurtrier avant d’être sa prochaine victime! Ainsi, l’auteur, plutôt que de faire réfléchir le lecteur aux côtés de son protagoniste, cherche en fait à lui faire ressentir les mêmes remous sur le plan des émotions: peur, excitation, et ainsi de suite.

L’état psychologique du narrateur n’affecte en rien les déductions du lecteur

Or, Sophie Hannah, toute rompue aux thrillers psychologiques qu’elle est, prête à Catchpool un passé ténébreux qui vient le hanter régulièrement au fil du récit. Non seulement ce ressort typique du thriller détonne violemment avec le style habituel des histoires de Poirot, mais en plus il n’apporte rien à l’intrigue. En tant que narrateur d’une énigme policière, Catchpool est un simple mécanisme de transmission des données du puzzle. Son état psychologique n’affecte en rien les déductions de Poirot ni celles du lecteur. Tout le mal que se donne l’auteure pour affubler son narrateur d’une biographie tragique s’avère futile; le meurtrier finirait derrière les barreaux avec ou sans ses déchirements intérieurs.

(Soit dit en passant, la finale est plutôt décevante. Normalement, au dévoilement de la solution d’un Poirot, on fait: « Ah ben oui, c’est clair. J’aurais dû y penser. » Au terme du roman de Sophie Hannah c’est plutôt: « Oui, mais comment… et pourquoi… je… vraiment? »)

Au final, The Monogram Murders apparaît comme un pastiche médiocre: on y retrouve tous les dehors stylistiques d’une histoire d’Hercule Poirot sans la subtilité fine des ressorts utilisés par l’auteure originale. Imiter les formes sans comprendre l’essence, c’est la définition même de la fan fiction.