Critique: The Monogram Murders

Le nouveau Poirot fait patate

MoongramMurdersThe Monogram Murders
par Sophie Hannah
Publié par William Morrow en 2014
352 pages
ISBN: 9780062297211

Dame Agatha Christie s’est éteinte en 1976 en nous laissant une oeuvre d’une finesse remarquable. Sa création sans doute la plus célèbre, Hercule Poirot, a mené l’enquête dans près d’une centaine de récits de diverses formes, la dernière fois un an avant la mort de l’auteure. Presque quatre décennies se sont écoulées depuis et jamais la succession Christie n’a permis qu’un nouveau scribe mette l’illustre Belge en scène, et ce, malgré les nombreuses demandes qu’ils ont reçues.

Or, voilà que l’auteure Sophie Hannah a fini par décrocher ce privilège tant convoité. Ça a donné The Monogram Murders, paru en septembre de cette année. LA question sur toutes les lèvres: est-ce que c’est un bon Poirot? Grâce au sous-titre que j’ai donné à cette critique, vous vous doutez déjà de la réponse.

Et c’est pas un roman policier extraordinaire non plus. Pour commencer, la narration pose un problème.

The Monogram Murders utilise un narrateur interne dans la personne d’Edward Catchpool, enquêteur à Scotland Yard et ami de Poirot. C’est à travers ses yeux que nous parvient le récit du roman. Or, il arrive souvent, tout au long du livre, que l’auteure nous présente des scènes en l’absence de Catchpool. Et ce ne sont pas de courts apartés reconstitués à partir d’un rapport fait après-coup. Non, ce sont de longs interrogatoires menés par Poirot, complets jusque dans les moindres détails des pensées du Belge et du verbatim de l’échange.

Certes, dès le chapitre 2, Sophie Hannah fait dire à Catchpool qu’il écrit son récit avec l’aide de Poirot, excusant ainsi en partie les libertés qu’elle prend avec le point de vue narratif. Cependant, j’ai beaucoup de mal à croire que Poirot ait fait un rapport si complet à Catchpool que ce dernier a été en mesure de reproduire fidèlement tous les détails des entretiens qu’il a ratés.

(Je passe outre le cliché éculé du narrateur qui couche son récit sur papier afin de s’en exorciser.)

Le cliché du narrateur qui couche son récit sur papier afin de s’en exorciser

Et c’est là le coeur du problème: Sophie Hannah n’est jamais fixée sur l’emploi d’un narrateur omniscient ou d’un narrateur interne. Elle voudrait utiliser le ressort du narrateur interne comme Agatha Christie l’a fait régulièrement (avec le personnage de Hastings, par exemple) mais, en même temps, elle refuse de compromettre sur la quantité des détails fournis au lecteur.

Agatha Christie avait compris que l’incertitude du narrateur offrait un outil de plus pour enrichir le mystère central à l’intrigue. C’est d’ailleurs là l’essence même de la surprise finale dans The Murder of Roger Ackroyd. Le lecteur reçoit un compte rendu de l’affaire circonscrit par les perceptions et les réflexions limitées du narrateur. De cette façon, ce dernier devient un substitut du lecteur dans le déroulement de l’enquête à laquelle il est invité à participer.

Au contraire, Hannah fait de Catchpool un intime de tous les progrès de Poirot, au prix de la vraisemblance de la narration et de la complexité de l’intrigue. C’est comme si le rôle de protagoniste glissait de Poirot à Catchpool, tant Hannah s’obstine à en faire un personnage indispensable au récit.

Ce qui me mène au second problème de The Monogram Murders: le glissement de genre.

Le genre de l’énigme policière dans lequel s’inscrit la majeure partie de l’oeuvre d’Agatha Christie, voire la totalité du corpus Poirot, est caractérisé par quelques principes élémentaires:

  • Un meurtre à élucider,
  • Un détective perspicace, et
  • Un dévoilement progressif d’indices, menant à
  • Une résolution surprenante et ingénieuse.

Tous ces éléments font appel  aux facultés cérébrales du lecteur plus qu’à une réponse émotive de sa part. Ainsi, l’énigme policière privilégie un style de narration descriptif et neutre, provenant d’un narrateur interne impliqué dans l’enquête mais effacé sur le plan fonctionnel de l’intrigue. En d’autres mots, il est justifié qu’il soit au courant des détails de l’investigation mais son point de vue n’est pas troublé par une implication émotionnelle dans l’action.

C’est tout autre chose quand on a affaire au genre du thriller qui met plutôt en scène des personnages dont les enjeux émotifs dans le crime commis constitue le coeur même de l’intrigue. Par exemple, si le héros d’une énigme policière doit trouver le coupable d’un meurtre sordide, le héros de thriller, quant à lui, doit capturer le meurtrier avant d’être sa prochaine victime! Ainsi, l’auteur, plutôt que de faire réfléchir le lecteur aux côtés de son protagoniste, cherche en fait à lui faire ressentir les mêmes remous sur le plan des émotions: peur, excitation, et ainsi de suite.

L’état psychologique du narrateur n’affecte en rien les déductions du lecteur

Or, Sophie Hannah, toute rompue aux thrillers psychologiques qu’elle est, prête à Catchpool un passé ténébreux qui vient le hanter régulièrement au fil du récit. Non seulement ce ressort typique du thriller détonne violemment avec le style habituel des histoires de Poirot, mais en plus il n’apporte rien à l’intrigue. En tant que narrateur d’une énigme policière, Catchpool est un simple mécanisme de transmission des données du puzzle. Son état psychologique n’affecte en rien les déductions de Poirot ni celles du lecteur. Tout le mal que se donne l’auteure pour affubler son narrateur d’une biographie tragique s’avère futile; le meurtrier finirait derrière les barreaux avec ou sans ses déchirements intérieurs.

(Soit dit en passant, la finale est plutôt décevante. Normalement, au dévoilement de la solution d’un Poirot, on fait: « Ah ben oui, c’est clair. J’aurais dû y penser. » Au terme du roman de Sophie Hannah c’est plutôt: « Oui, mais comment… et pourquoi… je… vraiment? »)

Au final, The Monogram Murders apparaît comme un pastiche médiocre: on y retrouve tous les dehors stylistiques d’une histoire d’Hercule Poirot sans la subtilité fine des ressorts utilisés par l’auteure originale. Imiter les formes sans comprendre l’essence, c’est la définition même de la fan fiction.

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Statut de la pile

Le Statut de la pile*, c’est un petit billet hebdomadaire dans lequel je veux faire le topo sur mes lectures courantes. Voilà qui explique la partie « statut » du titre; quant à « la pile », c’est parce que j’ai l’habitude de mener plusieurs lectures de front et d’accumuler une véritable pile de livres, de revues et autres. D’un côté, ça vous donne une idée de ce qui m’occupe l’esprit et, de l’autre, si vous voyez quelque chose qui vous intrigue, ça vous permet de tenter de m’influencer pour que j’en parle plus en détail dans un billet spécial. N’hésitez pas!

*Ça sonne mieux que « L’État du tas ».

MoongramMurdersThe Monogram Murders par Sophie Hannah – C’est le tout dernier Hercule Poirot qui est paru cette année, le premier qui ne soit pas de la plume de Dame Agatha Christie. En effet, sa succession a fini par autoriser un nouvel écrivain à mettre en scène le célèbre détective dans une nouvelle aventure. Les résultats sont… je dirai « préoccupants ». Je vous prépare d’ailleurs un billet sur le sujet.

MonsterManualMonster Manual par Christopher Perkins – Le geek en moi ne peut résister à une nouvelle édition du jeu de rôle sur table Dungeons & Dragons. Les livres de base pour cette cinquième mouture ressortent un à un dans ces derniers mois. J’espère avoir terminé celui-ci à temps pour la sortie du Dungeon Master Guide en décembre. Et non, je ne croirais pas jouer de si tôt; je suis simplement fasciné par l’ingéniosité des règles.

TaihoJutsuTaiho-Jutsu: Law and Order in the Age of the Samurai par Don Cunningham – Deux autres sujets qui me fascinent: le Japon de l’époque pré-moderne et les procédures policières. (Oui, je sais: je dois me trouver de meilleurs passe-temps.) Ce livre combine les deux en présentant les techniques et outils utilisés par les forces de l’ordre civiles sous le shogunat des Tokugawa. Bien écrit et bien illustré, ça se lit tout seul.

HeroWithAThousandFacesThe Hero With a Thousand Faces par Joseph Campbell – Beaucoup plus ardu, celui-ci; attendez-vous à le voir longtemps sur cette liste. Il s’agit de l’ouvrage séminal de Campbell dans lequel il expose sa théorie du monomythe, selon laquelle toutes les histoires suivent la même structure depuis la nuit des temps. Le problème, c’est que Campbell utilise l’approche psychanalytique, ce qui donne un propos très daté qui tire parfois sur le ridicule. En fait, je ne lis ce livre que pour avoir une bonne base pour ensuite m’attaquer à The Writer’s Journey par Christopher Vogler qui a basé son livre sur celui de Campbell.

AllAboutHistory018All About History #18 – Ma revue historique préférée. En couverture: les dix plus grands leaders militaire, Cléopâtre, la Grande Chartre et le côté obscur de Frank Sinatra. Je vous recommande cette revue parce qu’elle est beaucoup moins gallo-centrique que les revues en français publiées (sans surprise) en France.

FigaroHorsSerieHokusaiLe Figaro Hors-Série: Hokusai – Numéro spécial portant sur le peintre japonais qui nous a donné l’image la plus reconnaissable de l’imagerie extrême-orientale. Avec toutes ces superbes planches en couleurs, je ne pouvais pas résister. Ça me rappelle que je devrais me racheter un calendrier avec ses oeuvres encore pour l’année prochaine…

GrandeVagueKanagawa
La Grande Vague de Kanakawa

OfficialXboxMag169Official Xbox Magazine #169 – Je vous mentirais si je vous disais que je trouverai pas de plaisir à lire ceci, mais j’ai quand même acheté cette revue aussi pour que mon fils ait une lecture intéressante en anglais et ainsi l’aider à améliorer ses notes. Alors, mon grand, je sais que tu lis le blogue de ton père: t’as une revue qui t’attend quand tu reviendras de chez ta mère. Et aussi des vêtements à ranger.