Critique: L’Horreur du West End

C’est avec un immense bonheur – et non sans une certaine mesure de fierté – que j’accueille sur Notes marginales un premier article d’Amélie Grenier. Nous avons depuis longtemps caressé l’idée de contribuer à un projet commun comme ce blogue. J’espère que vous aurez autant de plaisir à lire les articles d’Amélie que j’en ai à partager mes idées, mes rêves et ma vie avec elle. – Yannick

Quand Sherlock déçoit

Horreur West End

L’Horreur du West End
par Nicholas Meyer
traduit de l’américain par Dominique Maisons
Archipoche, 2015 (édition originale, 1976)
233 pages
ISBN 978-2-35287-733-2

Nicholas Meyer s’adonne au pastiche holmésien. Et plutôt bien, selon mon souvenir de La Solution à 7% (1974) et de Sherlock Holmes et le Fantôme de l’Opéra (1993), qui m’avaient tous deux fait bonne impression. Malheureusement, cet opus agace et déçoit en trois temps. (Alerte au divulgâcheur, cinquième paragraphe.)

D’abord, résumons. L’on demande à Sherlock Holmes d’enquêter sur le meurtre d’un méchant critique (Jonathan McCarthy), maître chanteur à ses heures, poignardé dans sa bibliothèque. Le lendemain, une gentille choriste (Jessie Rutland) est égorgée dans sa loge du Savoy. Or, on soupçonne les décédés d’entretenir, de leur vivant, une liaison. S’ensuivent alors des recherches qui nous entraînent en divers théâtres ainsi que dans l’entourage de quelques grands noms de l’époque.

Comme s’il avait oublié qu’il comptait déjà un pastiche à son actif, Meyer étale tous les classiques et les clichés auxquels on peut penser en entendant le nom du célèbre détective londonien: l’éminemment classique « Élémentaire »; la vieille blessure à la jambe de Watson; les critiques à l’endroit de Lestrade et du corps policier; Holmes as du déguisement qui roule Watson et Mme Hudson; Holmes qui n’a cure de savoir qui du Soleil ou de la Terre tourne autour de l’autre (du moment que ça ne nuit pas à ses enquêtes); Holmes capable de distinguer et d’identifier cendres, caractères typographiques, boues et provenance de ses interlocuteurs par une simple diphtongaison; Holmes qui écoute les longues déductions de Watson pour mieux démonter chacun de ses arguments… Tous les clichés y sont. Ai-je besoin de crier haro sur le trop-plein?

Non content d’avoir bien étudié son Sherlock, Meyer a aussi beaucoup lu sur la vie culturelle anglaise de la fin du XIXe siècle. Dans ce roman, on est envahi par George Bernard Shaw, séduit par Oscar Wilde, terrifié par Bram Stoker, surpris de découvrir la tension entre Gilbert et Sullivan… J’aime quand on fait intervenir des personnages historiques dans une fiction, ne vous y trompez pas, mais il faut savoir doser. Ici, notre auteur est particulièrement fier d’avoir réussi à réunir autant de belles gens dans une même œuvre et il beurre épais pour nous montrer à quel point il a bien travaillé.

Enfin du fin – et c’est là que je divulgâche –, WTF la peste?!? Voyons… Notre assassin, c’est ce petit médecin à l’air de rien (Eccles) qui surgit en page 92, officie de-ci de-là durant cinq pages, puis ne réapparaît jamais, pas même en mention, avant le grand final, recroquevillé dans un coin de son salon, recouvert de bubons. Comment a-t-il tué? Pourquoi?… Vous savez, les artistes du Savoy n’ont pas droit aux distractions amoureuses, alors quand Cupidon envoûte Eccles et Jessie, et qu’un maître chanteur se paie l’entrejambe de l’infortunée en échange de son silence, ça fâche son homme. Le bon docteur qui, il n’y a pas si longtemps encore, vivait et travaillait en Inde et s’était spécialisé dans le traitement de la peste, et qui, tiens, était d’ailleurs à Londres pour faire des recherches afin de créer un vaccin pour endiguer la terrible épidémie qui rongeait alors l’Asie, transmet donc la peste pulmonaire au méchant pas fin. Dans un sursaut de remords, Eccles souhaite guérir sa victime, mais finit plutôt par le pourfendre avant d’abréger les souffrances de son aimée (qui a elle-même contracté la peste en recouchant), puis de voler les cadavres à la morgue et de se consumer dans les affres et la douleur de la peste bubonique. Quoi? Vous n’en saviez rien? Meyer n’a saupoudré aucun indice en ce sens? Eh… non. Ces explications dégringolent aux pages 212 à 226 de mon édition de poche (qui en compte 233), jamais avant. Rien ne laisse même entendre un quelconque lien amoureux entre Eccles et la pauvre Jessie. Autant sortir un Oscar du cul d’un chameau.

Je ne suis pas cruelle. La preuve: je donne deux étoiles sur cinq à ce roman, car il a de belles qualités et est plutôt bien écrit/traduit. Mais faut pas espérer me faire accepter quatorze pages d’explications bombardées en fin de volume. Ce serait comme si, du jour au lendemain, un magnat de la presse se lançait en politique et devenait soudain chef de parti… Si vous avez envie d’un Sherlock par une plume autre que celle de Conan Doyle, allez voir du côté de Duel en enfer: Sherlock Holmes contre Jack l’Éventreur, de Bob Garcia (2008). Vous serez rudement bien servis. Et je ne vous le divulgâcherai pas.

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100 mots sur… Liar’s Kiss

LiarsKissÉcrit par Eric Skillman et dessiné par Jhomar Soriano, Liar’s Kiss entreprend de nous raconter l’histoire typique du privé qui doit blanchir sa cliente/maîtresse des accusations de meurtre qui pèsent contre elle, tout en esquivant les interventions musclées de flics pourris et de suspects désespérés. Tous les ressorts du polar classique y sont, jusqu’au pardessus et chapeau. Cependant, c’est justement parce que l’histoire suit la formule de si près qu’elle parvient à nous prendre au piège au final; l’auteur crée des attentes pour ensuite les trahir de façon imprévisible, heureusement.

Les dix derniers mots: Même les clichés peuvent devenir source d’originalité lorsque bien utilisés.