Critique: L’Horreur du West End

C’est avec un immense bonheur – et non sans une certaine mesure de fierté – que j’accueille sur Notes marginales un premier article d’Amélie Grenier. Nous avons depuis longtemps caressé l’idée de contribuer à un projet commun comme ce blogue. J’espère que vous aurez autant de plaisir à lire les articles d’Amélie que j’en ai à partager mes idées, mes rêves et ma vie avec elle. – Yannick

Quand Sherlock déçoit

Horreur West End

L’Horreur du West End
par Nicholas Meyer
traduit de l’américain par Dominique Maisons
Archipoche, 2015 (édition originale, 1976)
233 pages
ISBN 978-2-35287-733-2

Nicholas Meyer s’adonne au pastiche holmésien. Et plutôt bien, selon mon souvenir de La Solution à 7% (1974) et de Sherlock Holmes et le Fantôme de l’Opéra (1993), qui m’avaient tous deux fait bonne impression. Malheureusement, cet opus agace et déçoit en trois temps. (Alerte au divulgâcheur, cinquième paragraphe.)

D’abord, résumons. L’on demande à Sherlock Holmes d’enquêter sur le meurtre d’un méchant critique (Jonathan McCarthy), maître chanteur à ses heures, poignardé dans sa bibliothèque. Le lendemain, une gentille choriste (Jessie Rutland) est égorgée dans sa loge du Savoy. Or, on soupçonne les décédés d’entretenir, de leur vivant, une liaison. S’ensuivent alors des recherches qui nous entraînent en divers théâtres ainsi que dans l’entourage de quelques grands noms de l’époque.

Comme s’il avait oublié qu’il comptait déjà un pastiche à son actif, Meyer étale tous les classiques et les clichés auxquels on peut penser en entendant le nom du célèbre détective londonien: l’éminemment classique « Élémentaire »; la vieille blessure à la jambe de Watson; les critiques à l’endroit de Lestrade et du corps policier; Holmes as du déguisement qui roule Watson et Mme Hudson; Holmes qui n’a cure de savoir qui du Soleil ou de la Terre tourne autour de l’autre (du moment que ça ne nuit pas à ses enquêtes); Holmes capable de distinguer et d’identifier cendres, caractères typographiques, boues et provenance de ses interlocuteurs par une simple diphtongaison; Holmes qui écoute les longues déductions de Watson pour mieux démonter chacun de ses arguments… Tous les clichés y sont. Ai-je besoin de crier haro sur le trop-plein?

Non content d’avoir bien étudié son Sherlock, Meyer a aussi beaucoup lu sur la vie culturelle anglaise de la fin du XIXe siècle. Dans ce roman, on est envahi par George Bernard Shaw, séduit par Oscar Wilde, terrifié par Bram Stoker, surpris de découvrir la tension entre Gilbert et Sullivan… J’aime quand on fait intervenir des personnages historiques dans une fiction, ne vous y trompez pas, mais il faut savoir doser. Ici, notre auteur est particulièrement fier d’avoir réussi à réunir autant de belles gens dans une même œuvre et il beurre épais pour nous montrer à quel point il a bien travaillé.

Enfin du fin – et c’est là que je divulgâche –, WTF la peste?!? Voyons… Notre assassin, c’est ce petit médecin à l’air de rien (Eccles) qui surgit en page 92, officie de-ci de-là durant cinq pages, puis ne réapparaît jamais, pas même en mention, avant le grand final, recroquevillé dans un coin de son salon, recouvert de bubons. Comment a-t-il tué? Pourquoi?… Vous savez, les artistes du Savoy n’ont pas droit aux distractions amoureuses, alors quand Cupidon envoûte Eccles et Jessie, et qu’un maître chanteur se paie l’entrejambe de l’infortunée en échange de son silence, ça fâche son homme. Le bon docteur qui, il n’y a pas si longtemps encore, vivait et travaillait en Inde et s’était spécialisé dans le traitement de la peste, et qui, tiens, était d’ailleurs à Londres pour faire des recherches afin de créer un vaccin pour endiguer la terrible épidémie qui rongeait alors l’Asie, transmet donc la peste pulmonaire au méchant pas fin. Dans un sursaut de remords, Eccles souhaite guérir sa victime, mais finit plutôt par le pourfendre avant d’abréger les souffrances de son aimée (qui a elle-même contracté la peste en recouchant), puis de voler les cadavres à la morgue et de se consumer dans les affres et la douleur de la peste bubonique. Quoi? Vous n’en saviez rien? Meyer n’a saupoudré aucun indice en ce sens? Eh… non. Ces explications dégringolent aux pages 212 à 226 de mon édition de poche (qui en compte 233), jamais avant. Rien ne laisse même entendre un quelconque lien amoureux entre Eccles et la pauvre Jessie. Autant sortir un Oscar du cul d’un chameau.

Je ne suis pas cruelle. La preuve: je donne deux étoiles sur cinq à ce roman, car il a de belles qualités et est plutôt bien écrit/traduit. Mais faut pas espérer me faire accepter quatorze pages d’explications bombardées en fin de volume. Ce serait comme si, du jour au lendemain, un magnat de la presse se lançait en politique et devenait soudain chef de parti… Si vous avez envie d’un Sherlock par une plume autre que celle de Conan Doyle, allez voir du côté de Duel en enfer: Sherlock Holmes contre Jack l’Éventreur, de Bob Garcia (2008). Vous serez rudement bien servis. Et je ne vous le divulgâcherai pas.

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Critique: TAG

Mal étiqueté

gttagTAG
par Ghislain Taschereau
Publié par Les Éditions Goélette en 2014
352 pages
ISBN: 978-2-89690-628-4

Je m’apprête à faire quelque chose que je n’ai jamais fait avant: critiquer un livre que je n’ai pas terminé. J’ai hésité avant de le faire parce qu’une partie de moi s’élève contre cette idée. Comment se prononcer de façon compétente sur un sujet qu’on n’a pas complètement exploré? Ça me semblait la seule manière de fournir une critique objective et bien fondée du livre.

Or, rappelons-le, je ne suis pas un critique professionnel mais un lecteur. J’ai approché ce livre en tant que consommateur, c’est-à-dire comme quelqu’un qui a échangé de l’argent contre un produit dont on m’a implicitement garanti la satisfaction. C’est moi qui suis sorti acheter ce livre, en librairie, avec mon argent. Je ne sens donc aucune obligation à le lire jusqu’au bout pour vous en donner mon opinion.

Le jour où une maison d’édition consentira à m’envoyer des livres, je me ferai un devoir de les lire jusqu’à la dernière page, qu’ils me plaisent ou non. Jusque là, je lis pour mon plaisir et le plaisir d’en parler. La vie est trop courte  pour la gaspiller avec des lectures déplaisantes.

La vie est trop courte pour la gaspiller avec des lectures déplaisantes

Après un tel préambule, vous devez déjà avoir une bonne idée de mon appréciation de TAG par Ghislain Taschereau.

Pourtant, je me sentais encore magnanime au début de ma lecture, et ce, malgré le poids écrasant de tous ces petits drapeaux rouges qui me hurlaient de laisser tomber: prose plate, vocabulaire tape-à-l’oeil, intrigue floue, protagoniste incertain, discours prêchi-prêcha, clichés à la pelle et un ton absolument risible.

En effet, après dix chapitres de TAG, je ne savais toujours pas si je devais prendre le livre au sérieux ou non. La prose est si descriptive qu’on ne peut y percevoir ni le caractère des personnages ni le style de l’auteur. Voire, c’est une prose si peu travaillée qu’on croirait avoir affaire à un bilan plutôt qu’à un roman. L’auteur ne fait que rapporter sans jamais tenter de toucher notre imagination en faisant appel à quelque figure de style que ce soit.

Tag avait enfin terminé l’aménagement de ses deux geôles. Heureusement, car il ne lui restait plus qu’un semaine de ses deux mois de vacances qu’il avait demandés au curé Sauvignon. Il recula de quelques pas et admira son travail. Ses prisonniers seraient bien là-dedans. Deux grandes cages de trois mètres carrés tout équipées. Douche, toilette, lit, fauteuil ainsi que divers appareils d’entraînement. pas de télé, pas d’ordinateur, pas de flânage. De toute façon, les sujets ne seraient pas là pour végéter.

C’est sec, c’est froid, ça tombe à plat. J’hésite à parler d’absence de style parce que je crois que même le manque complet de travail apporté à un texte peut constituer un style pour un auteur. En revanche, je me réserve le droit de considéré ce style comme pauvre, paresseux et anesthésiant.

Mais ça ne suffit pas à me faire abandonner un livre; j’ai lu du Jean-Patrick Manchette et c’était tout aussi assommant. Il faudrait y ajouter une attitude pontifiante aussi agréable qu’un ongle égratignant un tableau noir. Ça, on n’en manque pas: Taschereau termine presque tous ses chapitres par une extrait de journal de la plume de son protagoniste. Laissez-moi vous dire: ce dernier écrit comme un adolescent arrogant qui n’a pas du tout compris qu’il n’a pas encore tout compris.

Prenez pour exemples…

Je les hais
Je hais les humains. Ils me dégoûtent. Ils salopent tous. Ce sont des rats. Non, ils sont pires que des rats. Les rats, eux, ils ne balancent pas leurs mégots par les fenêtres.
Je hais les humains. Ces ordures me font regretter de faire partie de leur sale race. Je les hais tous profondément et avec attention.

…et…

Qui détermine les standards de beauté? Et en quoi une apparence, jugée agréable par un certain nombre d’individus, détermine-t-elle l’avenir de celui ou de celle qui la possède? Pourquoi un physique ingrat devrait-il faire de vous un objet de risée méprisable et nuire à votre bien-être dans la société?

…et encore…

Pour moi, pleurer est un besoin vital. Comme manger, boire, dormir et respirer. Mais, pour pleurer, je dois être seul.
Je m’installe dans un coin sombre de mon salon, je ferme les yeux et je plonge dans le marécage métaphysique de l’humanité. Au bout d’un moment, je commence à m’y perdre et à ne plus pouvoir respirer. Je commence à m’y noyer. Je cherche alors à remonter à la surface et, chemin faisant, je croise la mort de mes sept ans, puis le fiel du reste de mon enfance.
C’est à ce moment que surgit la grande litanie lacrymale.

Vous en avez assez? Une petite dernière…

L’humanité disposait pourtant de tout: des ressources, de la technologie, des cerveaux. Elle nageait dans tous les possibles, mais commençait, malgré tout, à couler. Comment pouvait-on se noyer en nageant dans l’argent?

Outre le ton agressivement moralisateur et le style immature, on peut concéder qu’il s’agit bien là des pensées exactes du protagoniste. Mais comment prendre au sérieux une écriture qui se contente ligne après ligne de la première idée venue? Plutôt que de s’appliquer à laisser son personnage se livrer dans un plaidoyer bien structuré, sinon touchant, Taschereau se contente de nous servir une enfilade d’antiques lieux communs, sans doute pillés dans les ruines oubliés de MySpace et de LiveJournal.

Mon fils de douze ans pourrait publier son journal intime et atteindre de plus hauts sommets littéraires.

Mais là encore, ce n’est pas ce qui m’a fait littéralement jeter le livre par terre de dégoût. Je peux pardonner un style anémique et un propos ronflant; à la rigueur, je peux même trouver cela divertissant. Ce que je n’excuse pas, c’est l’utilisation de scènes choquantes dans le but manifeste de conserver mon attention.

Au chapitre 15 de TAG, Ghislain Taschereau met en scène le viol d’une fillette de quatre ans par un vieux juge obèse. Rien ne nous est épargné: les commentaires, l’argent qui change de mains, les pleurs, le sang, les gestes…

La fiction peut nous amener dans des endroits extrêmement sombres de l’expérience humaine: le meurtre, les mutilations, le suicide, le cannibalisme et aussi le viol. Ce sont des outrages profonds à notre humanité même et leur seule évocation suscite en nous une réponse viscérale qui confirme notre appartenance à la même confrérie soufrante et solidaire. Ce sont des réalités tragiques de la vie que les auteurs doivent parfois aborder afin de dresser devant nous un miroir déformant mais ironiquement fidèle de qui nous sommes et de comment nous vivons.

À mon avis, le pouvoir d’évoquer un acte tel que le viol constitue l’une des plus lourdes responsabilités d’un créateur. C’est l’un des outils les plus puissants de la fiction mais aussi l’un des plus dangereux lorsque mal manié. Il est digne d’un respect incommensurable.

Le pouvoir d’évoquer le viol constitue l’une des plus lourdes responsabilités d’un créateur

Or, Taschereau a précédemment écrit quatorze chapitres dans lesquels il s’est montré indigne de faire appel à un ressort aussi sensible. Son intrigue sous-développée, son propos simpliste, sa technique primitive, bref son travail bâclé fait paraître une scène qui devrait constituer le paroxysme d’un drame déchirant comme un aparté gratuit et sordide.

Comparativement, Guano met en scène un homme qu’on force à mâcher le sexe tranché de son père. Le goût du sang et du sperme dans sa bouche est explicitement évoqué. La différence, c’est que l’auteur Louis Carmain a démontré une justification narrative, thématique  et stylistique pour cette scène, ainsi que la maturité littéraire nécessaire pour ne pas se servir de cet acte comme une béquille à son récit.

Au-delà du « politiquement correct », du « bienséant », du « convenable » et de toutes ces autres illusions utilisées par le passé pour censurer et blanchir les écrits, il demeure toujours la distinction élémentaire entre ce qui est justifié par l’histoire racontée et ce qui ne l’est pas. Il est de ces choses qu’on ne peut écrire qu’au prix de les avoir méritées.

Ghislain Taschereau ne méritait pas d’écrire cette scène. C’est la raison principale pour laquelle j’ai arrêté de lire TAG.

Critique: The Monogram Murders

Le nouveau Poirot fait patate

MoongramMurdersThe Monogram Murders
par Sophie Hannah
Publié par William Morrow en 2014
352 pages
ISBN: 9780062297211

Dame Agatha Christie s’est éteinte en 1976 en nous laissant une oeuvre d’une finesse remarquable. Sa création sans doute la plus célèbre, Hercule Poirot, a mené l’enquête dans près d’une centaine de récits de diverses formes, la dernière fois un an avant la mort de l’auteure. Presque quatre décennies se sont écoulées depuis et jamais la succession Christie n’a permis qu’un nouveau scribe mette l’illustre Belge en scène, et ce, malgré les nombreuses demandes qu’ils ont reçues.

Or, voilà que l’auteure Sophie Hannah a fini par décrocher ce privilège tant convoité. Ça a donné The Monogram Murders, paru en septembre de cette année. LA question sur toutes les lèvres: est-ce que c’est un bon Poirot? Grâce au sous-titre que j’ai donné à cette critique, vous vous doutez déjà de la réponse.

Et c’est pas un roman policier extraordinaire non plus. Pour commencer, la narration pose un problème.

The Monogram Murders utilise un narrateur interne dans la personne d’Edward Catchpool, enquêteur à Scotland Yard et ami de Poirot. C’est à travers ses yeux que nous parvient le récit du roman. Or, il arrive souvent, tout au long du livre, que l’auteure nous présente des scènes en l’absence de Catchpool. Et ce ne sont pas de courts apartés reconstitués à partir d’un rapport fait après-coup. Non, ce sont de longs interrogatoires menés par Poirot, complets jusque dans les moindres détails des pensées du Belge et du verbatim de l’échange.

Certes, dès le chapitre 2, Sophie Hannah fait dire à Catchpool qu’il écrit son récit avec l’aide de Poirot, excusant ainsi en partie les libertés qu’elle prend avec le point de vue narratif. Cependant, j’ai beaucoup de mal à croire que Poirot ait fait un rapport si complet à Catchpool que ce dernier a été en mesure de reproduire fidèlement tous les détails des entretiens qu’il a ratés.

(Je passe outre le cliché éculé du narrateur qui couche son récit sur papier afin de s’en exorciser.)

Le cliché du narrateur qui couche son récit sur papier afin de s’en exorciser

Et c’est là le coeur du problème: Sophie Hannah n’est jamais fixée sur l’emploi d’un narrateur omniscient ou d’un narrateur interne. Elle voudrait utiliser le ressort du narrateur interne comme Agatha Christie l’a fait régulièrement (avec le personnage de Hastings, par exemple) mais, en même temps, elle refuse de compromettre sur la quantité des détails fournis au lecteur.

Agatha Christie avait compris que l’incertitude du narrateur offrait un outil de plus pour enrichir le mystère central à l’intrigue. C’est d’ailleurs là l’essence même de la surprise finale dans The Murder of Roger Ackroyd. Le lecteur reçoit un compte rendu de l’affaire circonscrit par les perceptions et les réflexions limitées du narrateur. De cette façon, ce dernier devient un substitut du lecteur dans le déroulement de l’enquête à laquelle il est invité à participer.

Au contraire, Hannah fait de Catchpool un intime de tous les progrès de Poirot, au prix de la vraisemblance de la narration et de la complexité de l’intrigue. C’est comme si le rôle de protagoniste glissait de Poirot à Catchpool, tant Hannah s’obstine à en faire un personnage indispensable au récit.

Ce qui me mène au second problème de The Monogram Murders: le glissement de genre.

Le genre de l’énigme policière dans lequel s’inscrit la majeure partie de l’oeuvre d’Agatha Christie, voire la totalité du corpus Poirot, est caractérisé par quelques principes élémentaires:

  • Un meurtre à élucider,
  • Un détective perspicace, et
  • Un dévoilement progressif d’indices, menant à
  • Une résolution surprenante et ingénieuse.

Tous ces éléments font appel  aux facultés cérébrales du lecteur plus qu’à une réponse émotive de sa part. Ainsi, l’énigme policière privilégie un style de narration descriptif et neutre, provenant d’un narrateur interne impliqué dans l’enquête mais effacé sur le plan fonctionnel de l’intrigue. En d’autres mots, il est justifié qu’il soit au courant des détails de l’investigation mais son point de vue n’est pas troublé par une implication émotionnelle dans l’action.

C’est tout autre chose quand on a affaire au genre du thriller qui met plutôt en scène des personnages dont les enjeux émotifs dans le crime commis constitue le coeur même de l’intrigue. Par exemple, si le héros d’une énigme policière doit trouver le coupable d’un meurtre sordide, le héros de thriller, quant à lui, doit capturer le meurtrier avant d’être sa prochaine victime! Ainsi, l’auteur, plutôt que de faire réfléchir le lecteur aux côtés de son protagoniste, cherche en fait à lui faire ressentir les mêmes remous sur le plan des émotions: peur, excitation, et ainsi de suite.

L’état psychologique du narrateur n’affecte en rien les déductions du lecteur

Or, Sophie Hannah, toute rompue aux thrillers psychologiques qu’elle est, prête à Catchpool un passé ténébreux qui vient le hanter régulièrement au fil du récit. Non seulement ce ressort typique du thriller détonne violemment avec le style habituel des histoires de Poirot, mais en plus il n’apporte rien à l’intrigue. En tant que narrateur d’une énigme policière, Catchpool est un simple mécanisme de transmission des données du puzzle. Son état psychologique n’affecte en rien les déductions de Poirot ni celles du lecteur. Tout le mal que se donne l’auteure pour affubler son narrateur d’une biographie tragique s’avère futile; le meurtrier finirait derrière les barreaux avec ou sans ses déchirements intérieurs.

(Soit dit en passant, la finale est plutôt décevante. Normalement, au dévoilement de la solution d’un Poirot, on fait: « Ah ben oui, c’est clair. J’aurais dû y penser. » Au terme du roman de Sophie Hannah c’est plutôt: « Oui, mais comment… et pourquoi… je… vraiment? »)

Au final, The Monogram Murders apparaît comme un pastiche médiocre: on y retrouve tous les dehors stylistiques d’une histoire d’Hercule Poirot sans la subtilité fine des ressorts utilisés par l’auteure originale. Imiter les formes sans comprendre l’essence, c’est la définition même de la fan fiction.

Critique: Save the Cat!

À laisser dans l’arbre

SaveTheCatSave the Cat!: The Last Book on Screenwriting You’ll Ever Need
par Blake Snyder
Publié par Michael Wiese Productions en 2005
195 pages
ISBN: 1932907009

Du temps que j’étais éditeur auprès d’auteurs de comics books américains, beaucoup d’entre eux ne juraient que par le livre de Blake Snyder, Save the Cat! Même après avoir quitté ce monde , j’ai continué à voir ce livre mentionné partout sur Internet, surtout par des auteurs de romans. Je trouvais ça plutôt surprenant puisque c’est avant tout un ouvrage de scénarisation pour le cinéma, ce qui ne l’empêche pas d’être tout de même coté dans les quatre étoiles sur cinq un peu partout. En effet, l’auteur s’est bâti un véritable empire sur les mérites de sa technique, empire qui compte de nombreux sujets à en croire les louanges qui résonnent d’un bout à l’autre de la Toile.

À la demande générale (de personne), j’ai fini par céder et à lire ce fameux bouquin. J’en ressors… amer.

Allez, je m’explique.

Save the Cat! vise à vous outiller pour écrire un scénario de film qu’il vous sera facile de vendre à un studio d’Hollywood. C’est là toute l’ampleur de son ambition. N’y entendez aucune critique négative, car l’auteur atteint facilement cet objectif, sans doute au grand bonheur des lecteurs qui ont lu le livre en pleine connaissance de cause.

Or, j’ai l’impression que beaucoup d’auteurs qui ne jurent que par ce bouquin n’ont pas compris sa vocation, d’où mon amertume.

À leur défense, l’auteur présente sa méthode comme un ensemble de lois universelles sur l’art de construire des récits. Or, ses théories ne s’appliquent qu’à un éventail étroit d’oeuvres de fiction, à savoir les comédies grand public et les films d’action américains. Hors de ce créneau, la philosophie Save the Cat! n’offre plus aucune traction.

L’auteur présente sa méthode comme un ensemble de lois universelles.

Exemple par excellence (et celui qui a inspiré le titre du livre): dès ses premiers moments à l’écran, le héros doit poser un geste qui nous le rend sympathique et nous porte à souhaiter sa « victoire » finale. En d’autres mots, il doit sauver un chat. S’il s’agit de Ben Stiller dans le rôle d’un gardien de zoo empoté qui doit jouer les entremetteurs entre deux pandas frigides, d’accord. Mais aussitôt que l’histoire sort des sentiers tant de fois battus par Snyder, il importe peu que le personnage soit aimable; il faut qu’il soit complet. Un personnage complet…

  • Est animé par des qualités souvent contradictoires,
  • Est motivé par un objectif qui nous touche sur le plan émotionnel, et
  • Évolue de façon dramatiquement complexe, en mieux ou en pire,

et ce, peu importe qu’on l’aime ou non. Si le cinéma américain populaire comporte tant de protagonistes aimables, c’est parce qu’il table sur les pulsions d’identification simplistes du plus grand nombre pour assurer un retour sur investissement optimal. Or, ce n’est pas le cas pour toutes les oeuvres de fiction, ni même pour tous les genres du cinéma.

Autre exemple: Snyder prescrit une période au milieu du récit qu’il appelle « Fun and Games ». Pendant celle-ci, on peut laisser tomber tout ce qui est enjeux dramatiques pour se laisser aller aux scènes « cool » du film, sans préoccupation pour la structure narrative et encore moins pour le développement du thème. Toujours selon Snyder, c’est l’endroit d’où seront extraits la plupart des clips pour la bande-annonce. Dans la même lignée, il expose également la notion de « B Story ». Cet élément a, pour sa part, comme objectif de nous offrir un répit de l’intrigue principale et d’aider cette dernière à articuler le thème. Au contraire, dans une histoire bien ficelée, il me semble que toutes les parties contribuent au projet narratif; il n’y a pas de portion superflue ou de portion d’appoint. On coupe ce qui ne sert pas et on renforce ce qui est faible.

Dernier exemple: « A Limp and an Eyepatch ». Ce truc consiste à donner à chaque personnage un signe superficiel distinctif afin qu’ils se démarquent les uns des autres. Normalement, tout personnage devrait se distinguer par la fonction qu’il occupe dans le récit, mais Snyder craint que son comité de lecture s’endorme. C’est pourquoi chaque personnage arbore un nez de clown d’une couleur différente, lui conférant ainsi une différence artificielle. Tant pis si le personnage n’est rien d’autre que Meneuse de Claque Chiante #76528 ou Ancien Policier Alcoolique #6482b s’il a un accent belge!

Le but de l’ouvrage est de réaliser un produit vendable.

Comme vous pouvez le constater, en adhérant aveuglément aux stratégies de Save the Cat!, on court le risque d’entraver sa propre créativité, puisque le but avoué de l’ouvrage est avant tout de réaliser un produit vendable plutôt que de créer une oeuvre artistique significative et durable.

Soit, si l’on consulte ce livre pour les bonnes raisons, il est excellent. Mais les jeunes auteurs qui croiraient y trouver les grandes vérités de la création littéraire risquent d’y recueillir de bien mauvaises habitudes dont ils auront peine à se débarrasser.

Si vous tenez à consulter des ouvrages de scénarisation, je vous en suggère de bien meilleurs:

  • Robert McKee – Story: Substance, Structure, Style and the Principles of Screenwriting
  • John Truby – The Anatomy of Story: 22 Steps to Becoming a Master Storyteller

Contrairement à l’auteur de Save the Cat!, McKee et Truby ont réellement maîtrisé les éléments universels régissant l’acte de conter et vous les enseignent dans un langage clair, exempt d’anecdotes tape-à-l’oeil et de clins d’oeil racoleurs.

Jusqu’à la prochaine fois, je vous souhaite une excellente lecture et, par pitié, laissez les chats dans les arbres. Ils ne connaissent rien à l’écriture de toute façon.